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histoires courtes

« APRES LA FIN DE L'ETERNITE »

 

To the continuing End of Eternity

par Greg Toland

 

histoire de robots
présentée ici avec l'aimable autorisation de l'auteur
traduction réalisée par Jean-Claude Monot

 

 

Chapitre  1   2   3 

 

 

1

 

« ... et c'est ainsi, mesdames et messieurs, que la société Consolidated Computers est fière de vous présenter le premier cerveau positronique ! »

David Williams descendit de l'estrade et, avec un léger embarras, enfonça le bouton afin d'ouvrir les rideaux et de dévoiler le travail de toute sa vie et de celle de nombreux autres chercheurs.

Les applaudissements s'éteignirent et David put sentir la déception parmi l'auditoire. C'était exactement la même réaction qu'avaient eu ses patrons trois semaines plus tôt. Pourquoi la presse serait-elle différente des prétendus experts qui ont payé le projet, mais qui, de l'aveu général, n'y comprennent rien ? Il se tourna vers le cerveau, et ses deux cents trente grammes enfermés dans un dôme de plexiglas, avec les lumières clignotantes de l'ordinateur de contrôle. Il regrettait qu'ils aient refusé la demande des commerciaux de rendre la présentation plus spectaculaire.

Le cerveau positronique était posé là, relié à un certain nombre de périphériques et de contrôleurs externes. A sa gauche se trouvait l'unité d'interprétation de la parole. Dieu, pensa-t-il. Ca ne semble pas terrible. Il regrettait de ne pas avoir eu les deux mois supplémentaires qu'ils leurs aurait fallu, avant la présentation au public.

Après tout, le sous-système de la vue ne semblait pas mieux, le tout donnant l'impression d'avoir été assemblé en quelques semaines, ce qui était malheureusement le cas, car le planning s'était révélé intenable.

Les questions commencèrent à venir de la salle, lui faisant perdre le fil de ses pensées.

— Docteur, en quoi cela est une telle avancée dans les technologies informatiques ?
Il espérait que cette question serait posée en premier.

— Eh bien, je pense qu'un petit rappel historique est nécessaire pour répondre. Vous êtes tous au courant de la réalisation des ordinateurs à partir des calculateurs électromécaniques, de la valve au microprocesseur... ?
Il s'arrêta en regardant les hochements de têtes autour de lui.

— Bon. Cela nous fera gagner du temps. Maintenant, quels sont les inconvénients de ce type d'ordinateur ?
Il commença à compter sur ses doigts.

— Premièrement, il nécessite une source d'énergie relativement gourmande, aussi bien en terme d'encombrement que de puissance. Deuxièmement, il ne peut opérer que dans des cas bien définis par sa programmation. Troisièmement, il...

Avant que David Williams ne puisse continuer, l'interruption qu'il redoutait arriva de Alton Ferdinand :

— Etes-vous donc en train de dire que cet... ordinateur (il essayait de faire de ce mot une insulte) opère comme il veut et ne peut donc pas être contrôlé ?

— Non, ce n'est pas ce que j'essaie de dire. Si Monsieur Ferdinand voulait bien écouter les faits et ne pas essayer de présenter ses préjugés à l'auditoire..., commença David. Trop tard, Alton était lancé.

— Ces machines privent les hommes de leur humanité. Ce sont des abominations qui n'ont pas leur place dans notre société, et maintenant nous avons même un de leurs créateurs qui nous dit qu'elles sont incontrôlables.

David saisit l'occasion de répondre.

— Je suis heureux d'avoir l'opportunité de présenter ce résultat à mon collègue du Divin Collège.
Il espérait que cette remarque serait interprété avec juste ce qu'il fallait de sarcasme.Il y a long

— temps, ce problème fut posé par un écrivain de science-fiction nommé Isaac Asimov, et il imagina les Trois Lois de la Robotique ; je voudrais vous les citer, directement extraites d'un de ses livres.
Il fouilla dans sa poche et en tira un exemplaire délabré de « Les robots ». C'était volontaire. Il espérait qu'un ancien livre aurait plus de poids auprès de l'auditoire qu'une vidéo ou d'autres moyens. Il commença à lire :

— Première Loi : Un Robot ne doit pas blesser un être humain, ou, restant passif, permettre qu'un être humain soit blessé. Deuxième Loi : Un Robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. Troisième Loi : Un Robot doit protéger sa propre existence sauf si une telle protection est en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi.
Il fit une pause appuyée après avoir cité ces Lois, comme s'il y réfléchissait encore.

— Ces Lois ont été intégrées au cerveau positronique et toutes les actions contrôlées par ce cerveau sont soumises à ces limites. Ils sont fondamentalement plus sécurisés et contrôlés que vous ou moi, ou que n'importe quel être humain ne pourra jamais l'être.
Il pouvait voir que c'était une bataille perdue, et à partir de là, la conférence de presse se mit rapidement à perdre de son intérêt.

 

* * *

 

Il attendait avec impatience de voir comment le journal relaterait l'événement. Il tourna rapidement les pages, et sur presque toutes, vit les titres qu'il avait craint. « Ordinateur incontrôlable conçu... un écrivain de science-fiction, antédiluvien et fou, à l'origine du programme de contrôle... »

Il détourna les yeux de dégoût.

— Qu'espériez-vous donc ? dit Thor Simpson. Vous avez foncé droit dedans avec ce commentaire idiot sur Asimov !

— Mais c'est la vérité. C'est de là qu'ont été tirés les éléments de base à intégrer au générateur de règle Posienne, et si nous n'avions pas fait ça...

— Alors quoi ? interrompit Thor. Vous le savez, je le sais, ainsi que nombre d'autres développeurs, mais débiter cette absurdité à cette tête de pioche de Ferdinand, c'était du suicide.
David se demande ce qui allait maintenant se passer. Tout le budget était dépensé —non, corrigea-t-il en lui-même, plus que le budget— et la compagnie ne serait pas prête à investir quoique ce soit d'autre en recherche et développement. Sa meilleure chance était probablement de démissionner et de trouver une autre compagnie travaillant dans le même champs d'activité.

 

* * *

 

Ce soir-là, le retour à la maison fut long et pénible. Dès qu'il passa la porte, sa femme Sue devina que la conférence avait mal tournée. Elle attendit tranquillement l'inévitable explosion de frustration refoulée.

— Comment des esprits si petits et avec une vue à si court terme peuvent-ils former une organisation ? Nous sommes à l'aube d'une nouvelle technologie qui ébranlera le monde entier...
Il continua ainsi pendant que Sue ne pouvait rien faire d'autre que d'acquiescer. C'était une diatribe qu'elle avait entendu bien souvent. Elle demanda pourtant :

— Alors que vas-tu faire maintenant ?

— Je ne pense pas que ce sera long pour moi, répliqua-t-il. Il y a une réunion à la première heure demain au bureau de Wilson, et je pense que le projet sera arrêté, et que nous serons soit inutiles, soit réaffectés à d'autres projets.

— Et pour nous ?
Elle pensait aux factures de chaque mois. Ils n'étaient pas sans le sou, mais ils avaient besoin de ce salaire mensuel.

— Oh, je ne pense pas que j'aurai le moindre problème, dit-il sur un ton qu'il espérait confiant. J'ai passé là assez de temps pour ne pas être considéré comme un novice, contrairement à des types comme Adams, qui seront les premiers à partir.
Il savait pourtant que si quelqu'un devait partir, il serait certainement en tête de liste. Il n'avait jamais parlé de Wilson, la jeune femme n'avait aucune idée de la manière de gérer un projet d'une telle importance, et elle ne comprenait aucun des concepts sur lesquels ils travaillaient. C'était trop pour elle. La conversation se prolongea tard dans la nuit, et même après s'être couché, le sommeil ne vînt pas facilement.

 

 

 

2

 

Le jour suivant commença avec un froid tranchant. Puis, tandis qu'il conduisait sur l'autoroute en se rendant au travail, la journée prit une teinte plus printanière, typique de l'état de Washington. Le soleil était bas sur l'horizon, mais très brillant. Alors qu'il se garait à sa place de parking, il s'aperçut que la plupart des personnes de l'équipe était déjà là. Georgina Jones était justement en train de sortir de sa voiture, et elle l'attendit.

— Où est le brassard noir ? demanda-t-elle dans une tentative de plaisanterie.
Elle savait qu'elle serait une des premières à partir, étant la plus jeune et la dernière à avoir rejoint l'équipe.

— Je sais, fut la seule réponse laconique de David.
Toute tentative d'optimisme l'avait quitté sur la route. Il pensait que le projet allait être réduit, et il était maintenant pleinement préparé à la réunion. Il décida d'y aller tranquillement. Un discours incohérent serait une satisfaction de plus pour Wilson, et David refusait de lui faire ce plaisir.

— A quel projet pensez-vous être réaffectée, Georgie ? demanda-t-il, essayant de poursuivre la conversation.
Elle lui lança un regard de biais.

— La barbe ! Vous savez aussi bien que moi que je ne serai plus ici avant la fin de la journée !
Sa tentative de la contredire fut rapidement arrêtée.

— Je sais que je serai la première à partir et je ne peux pas dire que j'en sois particulièrement bouleversée.

— Oh, fut la seule réponse qu'il put donner, et le reste du trajet jusqu'au bureau se fit dans le silence.

A leur arrivée, il n'y avait pas le brouhaha habituel. Même Thor, le plaisantin du groupe, était tranquillement assis. Nulle conversation entre Lee Potts et Richard Falder, et personne n'avait allumé son terminal et son ordinateur. Georgie alla rapidement à son bureau et se mit à ranger ses dossiers. David jugea qu'elle pensait vraiment ce qu'elle avait dit, et qu'elle préparait ainsi son départ imminent.

A neuf heures, les principaux membres du projet se rendirent à la salle de réunion et se placèrent autour de la table. David pensa ironiquement qu'ils choisissaient toujours les mêmes sièges, quelque soit l'ordre dans lequel ils entraient dans la salle. Lui-même choisissait toujours le siège dans le coin avant, dos à la fenêtre. Ici, il avait l'impression de pouvoir observer les autres et de pouvoir évaluer leurs réactions. Qui plus est, il avait un accès immédiat au tableau. C'était une plaisanterie bien connue qu'il ne pouvait pas parler sans dessiner en même temps.

Georgie s'assit à l'opposé. En tant que programmatrice du sous-système de la vue, elle devrait avoir assez peu de difficultés à trouver un nouvel emploi : c'était une compétence recherchée dans plusieurs compagnies, et bien que relativement courte, son expérience dans la Compagnie devrait la placer en bonne position. Lee et Richard s'assirent l'un à côté de l'autre à l'extrémité la plus éloignée de la table. Leur travail sur le système de déplacement laissait penser qu'ils passaient la plupart de leur temps ensemble, ce qui était bien commode étant donné qu'ils vivaient déjà ensemble. David ne pouvait pas imaginer travailler tout le temps avec Sue. Il se réjouissait du changement de conversation et de concentration quand il était à la maison.

Cela laissait le Docteur Alfred Lanning à la tête de la table en tant que responsable du projet, et Liz Avalon à côté de lui. Le concept tout entier fut développé à partir d'une idée du Docteur Lanning et de David, qui avait résultée d'un accident dans le laboratoire ; un accident en partie causé par David lui-même. Liz travaillait sur le développement des programmes à intégrer au cerveau. David se concentra sur la conversion des programmes, via le générateur, en circonvolutions à l'intérieur du cerveau positronique.

Sa rêverie fut dérangée quand Coleen Wilson entra dans la salle.

— Bien, ne faisons pas de cérémonie, aboya-t-elle.
David ne pouvait jamais penser à elle comme simplement parlant.

— La présentation d'hier a été un désastre du début à la fin, ou devrais-je dire du fait à la science-fiction.
Ceci était accompagné d'un regard appuyé à David. Faisant un gros effort, il se retînt de répondre.

— Ce ne sera pas une surprise pour vous : la compagnie arrête le projet, à effet immédiat.

Bien qu'ils s'y soient tous attendu, c'était quand même un choc, et les mots étaient comme une gifle en plein visage. Lanning se leva pour quitter la salle.

— Où allez-vous ? demanda Wilson, semblant presque apprécier son rôle de tueur à gage.

— Archiver mes dossiers. Il me semble qu'il n'y pas d'intérêt à conserver des recherches qui ne servent à rien, répondit-il avec une ironie bien marquée.

— Oh, vous n'allez pas continuer ?

— Où ? rétorqua-t-il. Dans mon garage avec un lacet de chaussure, jusqu'au moment où je présenterai au monde ébahi un produit parfait ?
Cette fois les mots étaient remplis de poison.

— J'attendais un peu plus de combativité de votre part.
Wilson semblait quelque peu désappointée par la réponse. Les paroles suivantes n'eurent pas l'effet escompté :

— Nous vendons le projet entier, sans exception, à une autre compagnie. Ils ont l'idée un peu folle que la technique vaut quelque chose.

David tressaillit à ces paroles :

— Même les droits de propriété intellectuelle ?
Il pensait à ses intérêts dans le projet depuis l'idée originale du Docteur Lanning.

— Oui, tout. Les programmes, leurs sources, tous les prototypes, tous les dossiers et fichiers... Elle s'arrêta pour enfoncer le coin :

— ... et vous tous.

— Bien sûr, vous pouvez vendre les esclaves, railla Georgie.
Tout le monde commençait à réagir. Certains avec enthousiasme, d'autres avec

— agitation.Devons-nous obligatoirement rejoindre la nouvelle compagnie ? demanda Lee.
Elle et Richard avaient de nombreuses années de services dans l'actuelle compagnie, et David pensait qu'ils voudraient probablement rester s'ils le pouvaient.

— Pas de problème, répondit Wilson, je suis sûr que nous pouvons trouver une place pour quelques uns d'entre vous. Oui, pensait David, quelques uns, mais pas lui. Oh, et puis zut.

— Vous pouvez me compter dans la nouvelle compagnie. Je crois en ce que nous avons développé, et je pense que tout ceci a un grand potentiel.
Il dit ces mots pour contrer l'arrogance de Wilson, et réalisa soudain qu'il y croyait vraiment. Il regarda autour de la table et aperçu des hochements de têtes d'encouragement de la plupart, et un pouce levé du Docteur Lanning. Les autres prirent rapidement leur décision à l'identique, laissant seulement Lee et Richard, qui voulait y réfléchir un peu plus. Il ne semblait pas y avoir un quelconque ressentiment. L'esprit d'équipe s'en trouvait même renforcée. La réunion semblait toucher à sa fin, quand Alfred Lanning demanda soudainement :

— Au fait, qui sont nos nouveaux seigneurs et maîtres ?
Ceci ramena brutalement David sur terre. Que dirait Sue de ce changement ! Il était certain qu'elle serait d'accord avec sa décision, mais il aurait aimé avoir l'opportunité de lui en parler. Wilson lança un regard à l'horloge.

— Vous aurez la chance de les rencontrer dans environ dix minutes. Restez, ils vous rejoindront. Je vous dis à tous adieu. Vous n'avez pas besoin de vider vos bureaux et vos dossier, ils seront intégralement transférés dans les nouveaux locaux.
Elle se leva et se dirigea vers la porte. Se retournant brièvement, elle demanda à Richard et à Lee de rester pour l'entretien, puis de la rejoindre dans son bureau.

Les conversations s'amplifièrent rapidement quand Wilson quitta la salle. Le répit de dernière minute les avait tous pris par surprise, et les discussions allèrent bon train pour savoir qui prendrait part à la poursuite du projet.

— Ce que je ne comprends pas, s'exclama Lanning, c'est qui serait autorisé à reprendre tous les aspects du projet. Après tout, dit-il avec un sourire sur le visage, il pourrait bien y a voir un bon travail de recherche ici !

— Eh bien vous ne risquez pas de compter sur Synapsic Logic. Ils n'osent pas investir dans ce genre de technologie, dit Liz.
En tant qu'ancienne employée de cette compagnie, elle avait peu d'égard pour leur vision du futur.

David écoutait à moitié les conversations autour de lui. Qui pourrait reprendre le projet et quel en serait l'impact sur l'orientation des recherches.

 

* * *

 

La réponse arriva par la porte quelques minutes plus tard, et David en tomba presque à la renverse. Là, se tenaient deux hommes, portant les habituels costumes d'affaire, mais l'un d'eux était la personne qui était à l'origine de l'incident qui lui avait coûté son poste, et qui redémarrait maintenant le projet. Il sourit à David en s'avançant.

— Bonjour à tous, dit l'homme élancé et aux cheveux gris, qui prenait la tête en les saluant tous avec un grand sourire. Mon nom est Lawrence Robertson et voici mon collègue, Andrew Harlan...
Harlan souriait, mais en se forçant semblait-il. Il paraissait malgré tout assez amical.

— ... et nous venons juste de signer les documents de transfert, aussi nous vous souhaitons la bienvenue en tant que premiers employées de " U.S. Robots et Hommes Mécaniques ". Je vous assure que c'est le début d'une longue et fructueuse coopération.

— L'emplacement de la nouvelle compagnie est le Parc du Bicentenaire, qui, je pense, vous conviendra à tous. Les conditions et les termes de vos contrats resteront identiques à ceux que vous avez actuellement.
Il s'arrêta pour observer les réactions.

— Si personne n'a de problème, je propose que vous vous occupiez du déménagement de vos bureaux, du matériel de test et de développement, et de tout ce dont vous pensez avoir besoin, et nous pourrons poursuivre cette réunion dans, disons, deux jours, dans les nouveaux locaux.

 

* * *

 

L'atmosphère dans la société, après la réunion, avait changé. Les couloirs bourdonnaient tandis qu'ils supervisaient la sécurisation des équipements pour le transport.

— Vous connaissez l'un d'eux ? demanda Georgie à David en démantelant une sonde laser pour la mettre dans une caisse.

— Harlan semblait vous reconnaître, et vous avez sursauté quand il est entré dans la salle.

— C'est une des raisons de ma présence ici, et de l'existence du projet. Il est à l'origine de l'accident qui a créé la première masse spongieuse qu'est le cerveau positronique.

— Comment cela s'est-il passé ?

— Vous voulez dire que David ne vous a jamais parlé de sa fantastique découverte ? dit Thor.
Il esquissa rapidement le vol d'un essaim de mouche virevoltant dans l'air.

— Il le raconte à tout le monde... qu'on veuille ou non l'entendre.

— Eh bien, puisque vous le demandez... commença David, installé juste derrière, dans son siège, avec une tasse de café. Tout a commencé alors que je préparais mon doctorat dans le laboratoire du Docteur Lanning. J'étudiais la structure du platine et ses propriétés électriques, et je travaillais avec quelques déchets de platine. Le Docteur Lanning avait amené quelques invités, dont l'un d'eux était Harlan, et comme d'habitude, je n'y faisais pas attention. J'étais en train de reculé dans la pièce avec un gobelet de solution d'arsenic, lorsque j'ai heurté Harlan et en ai renversé sur les déchets de platine. Le mélange se mit à mousser, ce qui donna une étrange masse spongieuse.

— Ainsi, votre contribution ne fut qu'un accident ! dit Georgie avec un sourire.

— Non, répondit David avec un sourire encore plus grand. Ma contribution a été d'avoir assez d'esprit et de ténacité pour continuer sur cette voie. J'ai commencé par examiner ses propriétés électriques et j'ai trouvé que les courants électriques fluctuaient, et semblaient même disparaître. Cela m'a frustré, et j'ai continué mon examen avec plus de curiosité que jamais. Quelques semaines plus tard, j'ai assisté à un séminaire sur la physiologie du cerveau, et quelqu'un a posé une question sur la courte vie du flux électrique à travers le tissu cervical. c'est à cet instant que j'ai fait le lien entre les deux, changeant le titre de ma thèse, et le reste fait partie de l'histoire, comme on dit.

— Pourquoi étiez-vous à un séminaire sur la physiologie du cerveau ? Ca ne fait pas partie de votre domaine, n'est-ce pas ?

— Non, mais ma femme Sue travaillait dans la médecine avant d'avoir un enfant. Elle était invitée au séminaire avec son conjoint, et comme il s'agissait d'un week-end gratuit dans un endroit agréable, nous y sommes allé. Il n'y a rien de plus à en dire. Dans un certain sens, c'était étrange que Sue ait été invitée, alors qu'elle n'avait pas travaillé dans ce domaine depuis plus de deux ans. Remarquez, elle est encore dans le corps médical ; c'est probablement pour cela qu'ils avaient entendu parlé d'elle, et ils ne semblaient pas savoir qu'elle ne pratiquait plus.

— Comme quoi des faits insignifiants peuvent produire des événements importants, dit Alfred Lanning qui passait à ce moment, parodiant un jeu bien connu. Maintenant, retournez au boulot et remplissez quelques cartons !

 

 

 

3

 

Le travail se poursuivit et le déménagement se passa sans trop de problème. Cette interruption et les délais causés par le déménagement étaient plus que compensés par le nouvel enthousiasme de chacun. Le développement du cerveau positronique et des systèmes nécessaires pour créer un robot utilisable continua dans les nouveaux bureaux.

Robertson n'intervenait que peu dans les tâches journalières de la nouvelles organisation. On le voyait parfois dans les laboratoires, avec le Docteur Lanning qui lui présentait les derniers développements. Paradoxalement, Harlan jouait un rôle plus important dans la nouvelle compagnie. Il commença à travailler aux côtés de Richard et Lee sur la mise en place des fonctions motrices, dans l'optique de leur départ de l'équipe et de leur retour à la Consolidated Computers.

Le nouveau groupe commença aussi à travailler sur le projet. Pour David, le plus significatif fut la venue de Noÿs, la femme de Harlan. Elle commença à mettre en place les programmes de contrôle du cerveau positronique avec Liz, et proposa immédiatement plusieurs innovations sur la présentation du modèle. Ces modifications permirent de réduire les incertitudes lors de la conception de chaque cerveau positironique, et réduisirent donc le nombre de cerveaux bons pour la casse.

Richard et Lee restèrent avec eux pendant deux mois, afin de transmettre leur travail aux nouvelles personnes qui venaient d'être recrutées. Il y eut une fête de départ pour tous les deux, ainsi que les quelques autres qui avaient décidé de rester dans l'ancienne compagnie. Le clou de la fête fut l'invité vedette : le premier prototype de robot de la nouvelle compagnie.

C'est avec fierté que David dévoila le robot..., puis tombant presque de l'estrade en riant.

— Qui a fait ça, demanda-t-il, se tournant immédiatement vers Thor.
Le cerveau positronique arborait un bol à sa base et tenait une hache dans une « main » attachée. Un badge visiteur était épinglé à son « revers de veste » avec le nom de Frankenstein distinctement écrit dessus !

— Irrésistible, et je suis certain que Isaac Asimov aurait apprécié ! répliqua Thor.
Ils mirent le cerveau positronique à l'épreuve. Il récita la Constitution Américaine d'une voix légèrement métallique mais bien compréhensible. Le Docteur Lanning se tînt devant le système visuel et demanda au cerveau qui il était.

— Vous êtes Alfred Lanning, Docteur en philosophie, et responsable de ce projet, répondit l'unité de synthèse vocale.

Cela semblait étrange d'entendre cette voix venir des haut-parleurs à deux mètres des « oreilles ». Thor prit alors la place devant le système visuel.

— Qui suis-je ? demanda-t-il d'une voix faible et guindée.

— Vous êtes Thor Simpson, et vous faites le café, fut l'étonnante réponse.

— Ca c'est une vengeance ! s'exclama David en courant vers la porte avec Thor à ses trousses.
Il y eut beaucoup d'amusement ce soir-là, et il semblait presque que les personnes qui partaient allaient revenir sur leurs décisions.

— Comment avez-vous réussi à faire autant de progrès en si peu de temps ? demanda Sue tandis que la fête se calmait.
David était encore un peu surpris par le changement de façon d'être dans la compagnie. Une telle fraternisation du personnel à ce genre d'événement aurait été incroyable dans l'ancienne compagnie.

— Me croirais-tu si je te disais que ton mari est un génie... ? Non, je ne pense pas que tu puisses. Une partie de ceci a été possible par le changement de style de la compagnie et une amélioration de l'investissement, mais dans une large part grâce à Andrew Harlan et à sa femme Noÿs. Il a apporté de nouveaux points de vue à quelques unes de nos recherches initiales, et quant à elle, elle a des idées complètement nouvelles sur l'intelligence artificielles.

— Pourquoi n'as-tu pas entendu parlé de lui, ou d'elle, dans ce cas. Je pensais que tu connaissais la plupart des acteurs-clés de ce domaine.

— C'est une bonne question, répondit David, en partie pour lui-même.

— En y repensant, je ne sais rien de lui ou d'elle et je ne suis pas certain que les autres... dit-il sans terminer sa phrase, absorbé dans ses pensées.

 

* * *

 

Le lendemain fut long à démarrer. Certains avaient mal à la tête et il y a avait encore par terre des traces de la fête. David se retrouva à travailler à côté du Docteur Lanning.

— Que savez-vous de Harlan ? demanda-t-il d'une manière aussi anodine que possible.

— Comment cela ? C'est un excellent ingénieur avec une bonne base d'électronique. Et puis pourquoi ?

— Simple curiosité. Où est-il allé à l'université, et maintenant que j'y pense, d'où vient-il ? Je ne reconnais pas son accent.

— Oh, il m'a dit qu'il est de Nouvelle-Angleterre. J'ai oublié exactement d'où mais je pense que ses parents étaient de l'Europe de l'Est, ce qui explique peut-être son accent un peu particulier. L'université, je ne sais pas. Mais pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? Avez-vous entendu quelque chose ?

— Non, comme j'ai dis, je suis simplement curieux. Où voulez-vous stocker ces éléments ? ajouta-t-il en changeant rapidement de sujet. Il ne voulait pas paraître chercher des ennuis.

David parla aux autres personnes durant les jours suivants, mais ne trouva rien d'intéressant sur Harlan et Noÿs. Comme souvent avec lui, cela le rendit encore plus curieux et déterminé à découvrir le fin mot de cette affaire.

 

* * *

 

Environ trois semaines après la petite fête, il présenta « la preuve » qu'il avait trouvée à Sue, après que les enfants soient couchés, et tandis qu'ils étaient tous deux tranquillement assis après le dîner.

— Eh bien, j'ai examiné toutes les sources d'information possible et voici tous les faits que j'ai réussi à obtenir.
Sue sourit intérieurement. David s'était mis " en mode lecture ". Elle pouvait presque le voir noter les points sur un tableau.

— Il est supposé venir de Nouvelle-Angleterre, ayant émigré de l'ancien bloc de l'Est avec ses parents quand il était très jeune. Ensuite, il a obtenu ses diplômes par des universités relativement peu importantes du Mid-West. Il a gagné de l'argent dans l'édition et par quelques placements avisés à la bourse.
Il s'arrêta un moment et avala une gorgée de café.

— Elle arrive, semble-t-il, de Nouvelle-Zélande et ils se sont rencontrés à toutes les places boursières. Elle travaillait pour une société informatique où elle développait des systèmes d'intelligence artificielle pour l'analyse des mouvements de la bourse.
Il tendit la main et attrapa un dossier.

— Il y a très peu d'information sur eux dans tous les articles, journaux, et documents de bibliothèques, ce qui est un exploit dans notre monde d'aujourd'hui, si axé sur l'information. Les seules choses que j'ai pu trouver concernent des événements d'il y a dix ans. Noÿs Harlan a écrit quelques articles sur l'intelligence artificielle, qui ont été publiés.

— As-tu consulté les fichiers d'immigration la concernant ? demanda Sue.
Elle avait fait son arbre généalogique quelques années auparavant, et, en utilisant ces fichiers, avait réussi à remonter jusqu'à l'arrivée de sa famille dans le pays, depuis l'Irlande, vers 1900.

— Oui, Sherlock, répliqua-t-il en souriant. Mais malheureusement tous les fichiers relatifs à l'immigration depuis la Russie de cette période, ont été détruits par le feu, et bien sûr, c'était avant de mettre des copies sur le Réseau Global.

— C'est bien pratique, dit Sue avec ironie. Cela semble devenir de plus en plus mystérieux à mesure que ça avance. Et à propos de...
Elle fut interrompue par la sonnette de l'entrée qui annonçait un visiteur. David jeta un regard sur l'écran de l'entrée et poussa un cri.

— Ca se corse. C'est Noÿs Harlan. Je me demande ce qu'elle veut.

— Eh bien nous ne le saurons pas en la laissant sur le pas de la porte, dit Sue en se dirigeant vers la porte. Tu ferais mieux de cacher tes recherches ou bien ça semblerait bizarre !

David regroupa rapidement les articles et disques et les rangea dans le bureau tandis que Sue accueillait Noÿs. Cette dernière entra alors que David se rasseyait. Sue s'occupa de la boisson tandis que David échangeait des banalités sur le temps.

— Bon, je ne peux pas croire que vous soyez venue uniquement pour parler du temps, dit Sue en arrivant à ce moment-là. Que pouvons-nous faire pour vous ?
David fit la grimace et tenta d'arrêter Sue. Noÿs sourit et dit tout tranquillement :

— D'accord. Je me demandais comment nous allions nous mettre au travail.
Elle se cala dans le fauteuil et s'adressa à tous les deux :

— Pourquoi enquêtez-vous sur Andrew et moi ?
David et Sue restèrent sans bouger, incapable de répondre. Ce n'était pas la question qu'ils attendaient et certainement pas d'une manière aussi directe. David commença à bégayer une réponse :

— Eh bien... vous voyez... c'est comme...
Sue reprit le contrôle :

— Vous allez probablement m'en vouloir. J'ai demandé à David d'en savoir plus sur vous, et c'est ce qui lui a fait se renseigner sur vous.
Elle passa alors à la défensive.

— Toutes les informations que nous avons trouvées sont du domaine publique, aussi, dire que nous avons « enquêté sur vous » est un peu exagéré.
Noÿs répliqua :

— Oh je ne m'inquiète pour ça. Nous n'avons pas de squelette dans le placard qui pourrait nous poser problème.
Elle se rassit et sourit.

— De toute manière, pourquoi ne nous avez-vous pas posé de question sur notre passé ? Nous vous aurions répondu avec plaisir.
Sue regarda David et se mit à rire.

— Rechercher toutes les sources d'information possible, tu disais !
L'atmosphère se détendit immédiatement. Noÿs commença à parler de sa vie en Nouvelle-Zélande, et comment elle se dirigea vers les ordinateurs presque par accident. Elle poursuivit en parlant de sa rencontre avec Andrew et de leur précédent travail. A la fin de la soirée, ils avaient l'impression d'avoir entendu l'histoire complète de la vie de Andrew et Noÿs Harlan. Quand Noÿs partit, elle leur dit qu'il faudrait remettre ça un autre soir, avec Andrew, et cette fois ce serait à David et Sue de parler d'eux.

— C'est promis, rigola David, nous appellerons la baby-sitter.

 

* * *

 

Harlan et Noÿs s'assirent tranquillement ce soir-là, passant en revue ce qui avait été mené à bien.

— C'était vraiment juste, dit Harlan. A l'avenir, nous devons être très prudent, et ne pas laisser notre passé sembler si mystérieux : ça rend les gens soupçonneux.

— Je pensais que l'accident du laboratoire était un très bon moyen de créer la première éponge de platine pour le cerveau positronique. On peut dire que ça a lancé le projet ! Imagine, je commençais à craindre que Williams s'en débarrasse avant de découvrir ses propriétés.

— Je ne pense pas que nous avons fait de notre passé un mystère, rétorqua Noÿs. Qu'aurions-nous pu faire d'autre pour paraître normaux, alors que la compagnie se développait aussi rapidement ? Je pense que nous n'avons simplement pas de chance avec quelques remarques, qui donnent l'impression que deux et deux font cinq !

— Soit reconnaissante que ça ne fasse que cinq ! rigola Andrew. Nos passés ne résisteraient pas à une enquête plus poussée. De toute manière, je ne pense pas que quelqu'un fasse le lien entre nous et le séminaire où David et sa femme ont été invités. La mise en place, les fonds et la disparition ultérieure de la société de conseil à l'origine du séminaire ne surprendrait pas quelqu'un qui enquêterait sur la compagnie. Nous savions que certains des endroits flous du futur que nous avons vu dans les « Siècles Cachés » reviendraient nous hanter. Apparemment, les récents événements en sont des exemples.
Noÿs dit pensivement :

— Je pense qu'il sera bientôt temps pour nous de nous effacer. Nous ne devons pas prendre d'importance au sein de l'US Robots. L'Histoire se rappellera avec optimisme Robertson, Lanning et ceux qui nous ont suivis, mais pas nous.

— De tout manière, nous sommes près du but. Avec la société US Robots et Hommes Mécaniques, nous aurons l'outil nécessaire pour permettre à l'Humanité de développer les voyages hyperatomiques et ensuite, la colonisation de la Galaxie pourra débuter.

Le dernier Eternel et la Femme du Futur s'enfoncèrent dans leurs sièges et levèrent leurs verres pour porter un toast qu'eux seuls comprenaient.

 

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