— Et pourquoi devrais-je vous croire, mademoiselle Noys ? demanda le docteur Susan Calvin.
Mais Noys faisait plus attention à ce que le Dr. Calvin ne disait pas. Ses pensées étaient si claires qu'elles auraient presque pu être obtenues sans capacité télépathique. Derrière la froideur des yeux gris de la robopsychologue, ses pensées se révélaient : encore un robot qui me fait perdre mon temps avec un mensonge ; pourquoi donc devrais-je faire confiance à cette fille qui me dit venir du futur pour me demander mon aide !
— Dr. Calvin, je viens du futur, répéta Noys, et j'ai toute l'éternité pour vous le prouver, mais vous, vous n'avez pas ce luxe. Vous êtes en bonne santé, et votre esprit est plus brillant que jamais. Peut-être pourrez-vous même profiter encore d'une paire de physio-années avant que le moindre affaiblissement ne soit visible, mais cet affaiblissement va survenir, et vous pourrez en mourir. Comme je vous l'ai dit, je vais transférer une copie de vos ondes cérébrales dans un support moins fragile. Vous pouvez voir que je ne porte aucune arme, et si je voulais vous blesser de quelque manière que ce soit, je l'aurais déjà fait, mais je préfère faire ceci avec votre accord.
— Et pourquoi ? demanda Susan soupçonneuse. Et qu'est-ce qui vous permet de penser que vous pouvez me forcer à faire quoi que ce soit contre ma volonté ?
— Si vous coopérez avec moi, vous vous souviendrez de ces événements, même si vous ne serez pas capable (ou vous n'aurez pas envie, je pense) de les partager avec d'autres personnes. Si vous choisissez de ne pas coopérer, je devrai purger votre mémoire du souvenir de ces événements. Vous vous rappellerez des fragments de ce que vous penserez avoir été un étrange rêve.
— Mademoiselle Noys, répliqua Susan avec une politesse feinte, vous ne répondez pas à mes questions.
— La réponse à vos deux questions est la même : je suis un robot.
Susan Calvin, la remarquable robopsychologue, eu soudain peur. Elle savait à présent qu'elle était face à un être humain mentalement dérangé. Calvin avait toujours cru que les êtres humains étaient imprévisibles, et cette Noys était clairement dérangée. Elle n'eut d'autre choix que de lever la main droite vers son collier d'alerte médicale...
Pourtant, elle ne le toucha jamais, et se réveilla avec un léger mal de tête et une impression de rêve qui commençait déjà à s'estomper. Rien qu'une tasse de café ne puisse réparer.
* * *
Noys activa le premier palier du robot DRS-V. C'était le modèle le plus avancé de ce 111.394ème siècle. Légèrement plus avancé que le modèle NYS-V, qui s'appelait lui-même Noys, il devait être activé par paliers. DRS-V ouvrit les yeux et se sentit effrayé. DRS-V pensait et ressentait « qu'elle » était le Dr. Susan Calvin, mais ne pouvait ni bouger ni sentir aucune partie d'elle-même au-dessous du cou. Elle ne pouvait pas parler non plus, mais pouvait voir et entendre. Noys contrôla quelques instruments et, satisfaite que tous les indicateurs soient nominaux, activa le second palier. DRS-V pouvait maintenant parler.
— Que m'avez-vous fait ? cria DRS-V, je ne peux pas bouger !
— Vous pourrez bouger dès que j'aurai fini de vous activer, ce que je ferai quand vous aurez entendu tout ce que j'ai à dire, répliqua Noys calmement. Je sais que vous pensez que je suis folle. Vous, mieux que personne, vous savez qu'un robot doit obéir aux trois lois de la robotique. La Première Loi établit qu'un robot ne peut blesser un être humain, ou par son inaction, permettre qu'un être humain soit blessé ; la Seconde Loi stipule qu'un robot doit toujours obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. Finalement, la Troisième Loi impose au robot de se protéger lui-même, sauf si cela s'oppose à la Seconde Loi. Vous pensez que je vous ai blessée et vous pensez que vous êtes un être humain. A partir de ces données, il vous est impossible de croire que je suis un robot. Néanmoins, je suis un robot, et, oui, je viens de ce que vous considérez comme le futur. Le futur très lointain.
Noys avait parlé à voix haute. Et elle émit silencieusement la pensée : et je ne vous ai jamais blessée, et vous n'êtes pas non plus un être humain.
Noys entreprit d'expliquer comment les robots avaient évolué et intégré une autre Loi dans leur conception. Connue comme la Loi Zéro, elle contraint un robot à ne pas blesser, ou par son inaction permettre de blesser, les êtres humains en tant que groupe ou en tant qu'Humanité dans son ensemble. A noter la préséance de cette règle obligatoire sur celle concernant un individu spécifique.
— En d'autres termes, quand la Loi Zéro est en conflit avec la Première Loi, la Loi Zéro est appliquée.
DRS-V considéra cette information et, à sa surprise, ressentit la Loi Zéro comme une évidence. Elle regarda à nouveau Noys et demanda :
— Ainsi, si vous m'avez attaquée, cela signifie-t-il que je suis un danger pour l'Humanité ?
Noys démentit énergiquement et expliqua :
— Non seulement vous n'êtes pas un danger pour l'Humanité, mais j'aurais brisé la Loi Zéro par inaction, si je n'avais pas transféré une entière copie de vos ondes cérébrales dans un corps DRS-V vierge. La seule manière de vous expliquer cela est de dire que vous n'êtes pas exactement qui vous croyez. Le Dr. Susan Calvin est morte depuis des siècles. J'ai été désigné pour voyager à travers le temps, faire une copie de votre esprit et retourner à mon époque pour transférer cette copie dans ce corps. L'Humanité a besoin de vous.
Après avoir dit cela, Noys compléta la séquence d'activation nécessaire pour rendre DRS-V pleinement opérationnel.
Noys expliqua à DRS-V que lorsque le Dr. Calvin avait tenté de toucher son collier médical, Noys l'avait immédiatement stoppée. Elle avait alors connecté une extrémité du Synapsifieur Heisenberg modifié au chrono-rupteur portable, et avait doucement pressé l'autre extrémité sur le visage du Dr. Calvin, inconsciente mais nullement blessée.
— Camarade Noys, j'accepte vos explications, mais je ne sais toujours pas comment je peux aider l'Humanité, demanda DRS-V.
— Votre tâche est de protéger un des humains les plus importants qui aient jamais existé, camarade Dors. Son nom sera Hari Seldon.
F I N