1
« Nous sommes Galaxia. »
Tempor Solten n'entendit pas réellement ces mots. C'était plus comme un écho provenant d'un profond recoin de son esprit. En tant qu'élément de Galaxia, une galaxie regroupant l'incroyable collection des sensations et des esprits non seulement humains et robotiques, mais également des animaux inférieurs et des plantes, même les planètes et les soleils contribuant d'une certaine manière à la conscience globale, Tempor se rendait toujours compte de cet écho.
Il ne l'aimait pas.
Il n'était pas facile de laisser cet écho hors de soi. Tempor savait de longue date comme il était difficile de conserver sa solitude plus de quelques heures à la fois. La puissance absolue des quatrillions d'esprits se ruant sur lui en faisait une tâche rebutante. Une tâche à la laquelle il s'attelait chaque fois qu'il pouvait rassemblait les ressources mentales nécessaires.
En tant qu'élément de Galaxia, il était également impossible pour Tempor de cacher sa réticence à participer à la conscience commune. Souvent, son mentor Willo Ober l'avait conseillé, l'avait interrogé sur son comportement antisocial et toujours avec le même résultat.
— Ca envahit mon esprit, disait Tempor. Il parlait délibérément en Galactique Standard au lieu de permettre l'accès à son esprit, pour renforcer ses arguments et aussi pour agacer Willo. Ca m'étouffe, j'ai la sensation d'être dans une ancienne prison, sans aucune sortie, sans aucun moyen d'arrêter ce bruit.
Avec élégance, Willo Ober s'assit sur un gros rocher, en donnant l'impression qu'elle ne voulait pas déranger la surface des molécules. Tempor rit intérieurement, en pensant : « nous en sommes réduits à être poli avec les rochers. »
— Tempor, nous comprenons tes sentiments. Nous...
— Willo, toi et les autres vous ne comprenez rien. Vous n'avez aucune idée de ce qui se passe en moi. Sentir le poids presque inexorable de tous ces esprits touchant le mien. Je sais que je suis différent. Je sais que je ne peux pas m'y adapter. Je sais que je suis à part.
— Mais pourquoi ? Depuis la poussière entre les étoiles jusqu'au trou noir central et jusqu'aux esprits robotiques et humains les plus complexes, Galaxia existe comme un tout. Comment peux-tu ne pas en être une partie ? De tout Galaxia, tu es la seule déviance que nous détectons et nous sommes concernés.
— Willo, quand je me fonde en Galaxia, je ressens votre souci mais il ne me soulage pas de mon isolement. Et, avec un regard rempli de souffrance, Tempor se détourna et s'éloigna.
2
« Vous ! »
Si Tempor l'avait dit à haute voix, ça aurait été un cri de surprise et de choc. Au lieu de cela, ses pensées s'imprimèrent dans l'esprit de son visiteur, qui, habitué aux soubresauts de l'esprit humain, demanda simplement :
— Puis-je entrer ?
Récupérant légèrement de son choc initial et se rappelant avec peine les bonnes manières, Tempor chuchota :
— Naturellement, je vous en prie.
S'affaissant dans la chaise offerte, le visiteur contempla la modeste mais confortable maison, située à proximité du sommet d'une grande colline, que Tempor considérait plutôt comme une montagne ratée.
— Tempor, commença le visiteur d'une voix impassible mais agréable, j'ai été alerté par vous ces derniers temps.
— "Je" ? répliqua Tempor. Vous ne voulez pas plutôt dire "Nous" ?
— Non, Tempor, je veux dire "Je". Je parle en tant qu'individu et non en tant qu'élément de Galaxia.
— Vous pouvez vous en isoler ? Tempor avait presque crié ces mots.
— Je peux, et c'est quelque chose que vous devrez apprendre.
Montrant la chaise de l'autre côté de la table, le visiteur fit signe à Tempor de s'asseoir, puis continua. Tempor détecta un subtil changement dans sa voix. Pour le moment imperceptible à l'oreille, mais à un certain niveau, subtil, de l'esprit, il avait le sentiment que ce qui allait se dire serait très important.
— Cette histoire peut prendre un certain temps, aussi veuillez être patient avec moi et me pardonner cette visite. Comme vous le savez, il y a des siècles, a existé un vaste empire galactique. Composé de millions de mondes et d'une quantité presque innombrable d'humains. L'empire s'effondrait. Un homme, un homme très spécial, a vu l'effondrement venir.
— Vous êtes en train de parler de Hari Seldon.
— Vous savez alors, que Hari Seldon développa la psychohistoire, qui fut employée pour guider les progrès de l'homme durant plusieurs siècles. Par la suite, elle fut abandonnée quand Galaxia fut choisie comme destinée de la société humaine.
— Tout Galaxia sait cela, répondit Tempor qui commençait à se demander où son visiteur voulait en venir.
— Ce que Galaxia ne sait pas est pourquoi, continua ce dernier d'une voix presque chuchotante.
« C'est parti ! » hurla Tempor. « Je ne la sens pas. Galaxia est partie ! Vous le bloquez ?! »
— Oui, je ne souhaite pas que Galaxia fasse partie de notre conversation. Même après mon départ, cette partie de votre esprit ne sera pas accessible à Galaxia. Considérez ceci comme un cadeau. Avec un autre petit ajustement vous pourrez utiliser cette partie de votre esprit pour bloquer Galaxia sans plus d'effort que de faire battre votre coeur.
Sa curiosité devenant plus forte que sa courtoisie, Tempor s'exclama :
— Pourquoi faites-vous ceci ? Qu'est-ce que c'est que tout ça ?
— S'il vous plait, permettez-moi de continuer et tout deviendra clair. J'ai peur que ce soit une habitude que j'ai acquise d'un ancien partenaire qui, au cours de son travail, passait souvent le temps à parler et expliquer les choses. Ce que Galaxia ne sait pas est que la psychohistoire était défectueuse. Elle était défectueuse d'une manière si subtile que personne n'a jamais découvert la vérité, même Seldon. La psychohistoire, selon Hari Seldon, a été développé sur deux hypothèses. Les hypothèses étaient que cette science ne pouvait fonctionner que sur de grands nombres d'individus, des millions ou plus, et que ces individus devaient ignorer l'existence de la psychohistoire.
— Là encore, dit Tempor, il n'y a rien de neuf.
— Le Subtil Défaut, comme j'en suis venu à l'appeler, se situe là où la psychohistoire échoue. Une hypothèse non formulée de la psychohistoire est que ces masses d'individus doivent être composées d'êtres humains.
Le visiteur devint alors silencieux, attendant la réponse de Tempor. Tempor était sur le point de dire que chacun savait cela, mais, soudainement, il se rendit compte que personne ne le savait.
— Je comprends la raison de cela, dit Tempor, mais quelle importance ? Il n'y a que des êtres humains dans notre galaxie.
— C'est vrai, dit le visiteur, il n'y a rien d'autre que des êtres humains dans notre galaxie.
Tempor perçut l'emphase sur le mot "notre" et compris que cette insistance suggérait une chose à laquelle il n'avait jamais pensé, et si incroyable dans ses implications, qu'il ne pouvait rien faire d'autre que fixer son visiteur avec le regard d'un enfant, découvrant le monde pour la première fois.
« Nous ne sommes pas seuls dans l'univers », répondit le visiteur à la question non exprimée de Tempor.
Encore étourdi par la soudaine surcharge d'information et souhaitant presque le contact apaisant de Galaxia, Tempor parvint à demander :
— Pourquoi me dites-vous tout cela ?
— Car vous allez être notre ambassadeur.
— Ambassadeur ? Ambassadeur auprès de qui ?
— Auprès de toutes les autres Galaxia, répondit le visiteur.
— Pourquoi moi ?
Le visiteur reprit la parole comme s'il savait que la question allait être posée.
— Car, de tous les esprits de Galaxia, le vôtre est unique. J'attendais un esprit comme le vôtre. Un esprit qui, non seulement désirait être à l'écart de l'influence de Galaxia, mais également assez fort pour lui résister, ne fût-ce que quelques heures.
— Pourquoi est-ce important ? L'ambassadeur ne devrait-il pas représenter tout Galaxia et donc être en contact avec Galaxia ?
— Non, et c'est précisément pourquoi je vous ai choisi. Jusqu'à ce que nous soyons sûrs des intentions de nos voisins galactiques, ils ne doivent pas toucher l'esprit de Galaxia.
Sentant soudain le poids du destin peser sur lui, et pas très sûr de vouloir désormais ce fardeau plus qu'il ne voulait le fardeau de Galaxia, il demanda, presque en désespoir de cause :
— Pourquoi pas vous ? Votre esprit est bien plus puissant que le mien. Vous pouvez déjà bloquer Galaxia. Pourquoi moi ?
— Votre esprit est unique d'une autre manière. Vous possédez la gamme complète des émotions humaines et avez une imagination que je n'ai pas. Au cours des années, j'ai appris à exprimer certaines émotions quand la situation le justifiait, mais ce n'est pas pareil. Mes capacités créatrices sont, d'une certaine manière, encore bien pire. Venez, marchons un peu et parlons du futur de Galaxia.
3
Tempor ouvrit son esprit et le laissa se déployer dans toutes les directions. Sa conscience chevauchait une vague composée des ressources mentales d'une galaxie entière. Tempor se sentit tout petit, tandis que son esprit commençait à effleurer l'espace intergalactique proche. Dans un bref demi-tour, il regarda en arrière et vit la totalité de la Voie Lactée, la totalité de Galaxia. Puis il reprit son chemin et se dirigea vers le vide entre les galaxies.
Son esprit suivit les vrilles de poussière cosmique qui entourait sa galaxie. Sa conscience s'enfonçait de plus en plus profondément dans le néant. Sans l'aide mental de Galaxia, son esprit se serait brisé sous l'effort de cette expansion et puis soudain...
Contact ! Le plus doux des attouchements frôla l'esprit déployé de Tempor. Tempor stoppa l'expansion de sa conscience et attendit.
« Bienvenue ! »
Tempor sentit la pensée et son esprit déployé interpréta cette pensée comme une bienvenue. Une bienvenue sincère et douce. Comme si deux amis de longue date avaient été réunis après des années de séparation. Cette pensée était familière à Tempor. Semblable à ce qu'il ressentait au contact de Galaxia, quand il l'autorisait.
Tempor se permit d'envoyer une pensée :
— Qui êtes-vous ?
— Nous sommes Galaxia. Nous sommes la Galaxia de notre galaxie. Nous avons senti votre présence et avons attendu longtemps pour vous accueillir au sein des galaxies unies.
— Il y en a d'autres ? demanda Tempor.
— D'innombrables. L'univers est vieux, et plus il vieillit, plus les galaxies trouvent leur chemin vers une conscience commune, et parfois, vers les autres, comme vous l'avez fait. Mais vous êtes venus en tant qu'élément, et non en tant que tout. Parlez-vous pour tous ?
— Pardonnez notre précaution. Nous ne savions pas ce que nous allions trouver.
— Vous n'êtes pas seul à avoir agi ainsi. Beaucoup, y compris nous, sont entré en contact la première fois comme vous l'avez fait. Vous découvrirez cependant qu'aucune galaxie ne peut atteindre la communion en hébergeant des pensées de haine et de fureur. Toutes sont en paix.
Tempor sentait la vérité dans tout ceci.
— Et maintenant, où allons-nous ? demanda Tempor.
En réponse, l'autre Galaxia ouvrit ses pensées à Tempor. L'esprit de Tempor fut inondé par des milleniums d'histoire, de pensées, de vies et de morts, et l'approche de la communion. À la fin, la seule différence entre les deux Galaxias était l'histoire et non les résultats.
— Maintenant, permettez-nous de vous présenter à tous les autres.
Tempor et le reste de Galaxia rencontrèrent les autres galaxies. Ces autres galaxies qui aidaient à mettre en place le destin de l'univers. Qui servaient de gardiens, aidant parfois une galaxie à atteindre la communion, et, bien que cela ne se soit jamais produit, prenant garde à rencontrer une galaxie ayant atteint leur niveau sans être en paix.
Epilogue
L'univers était vieux, ancien, plus qu'ancien même, et il était en train de mourir. L'entropie arrivait à sa phase ultime, et l'univers se recroquevillait en un néant froid et sombre. Il n'y avait rien dans tout l'univers pour stopper cette progression et empêcher le déclin final.
Dans les pensées de toutes les galaxies unies, un flux commun se déploya et remplit l'espace :
« Joignons-nous tous, ne finissons pas ainsi ! »
La communion s'amplifia, s'étendit à tous, et les esprits de l'univers devinrent un. Cette pensée s'amplifia encore et rassembla l'univers même, et chaque particule répondit à l'appel. Pendant que l'univers entier devenait un, cette proximité fournit encore plus de puissance aux galaxies unies : elles n'avaient plus la moindre pensée de leur propre fin, mais étaient seulement remplie d'un désir ardant de recréer ce qui les avait soutenues pendant si longtemps. Les Gardiens du Destin fournirent la dernière parcelle de leur énergie, et cette étincelle de création s'unit avec la totalité de l'univers pour produire, une nouvelle fois, une expansion qui remplirait le vide.
F I N