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Fondation et psycho-histoire
Fondation et psycho-histoire
La Fondation ! Si les premières pages sont écrites dès 1942, cette saga voit son dernier épisode émerger un demi-siècle plus tard, en 1993. Du moins, de la main d'Asimov. Car les émules qu'il laisse derrière lui sont légions, et plusieurs se sont déjà attaqués à rédiger de nouveaux romans sur la Fondation.
l'Empire Galactique
S'il a fallu à peine un siècle pour passer du rêve de Jules Verne à la réalité de Neil Armstrong posant le pied sur la Lune, portons notre imagination bien au-delà d'un siècle... deux cents fois plus loin. Dans environ vingt mille ans.
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L'humanité a essaimé à travers les milliards d'étoiles de notre galaxie, colonisant des millions de mondes propres à accueillir la vie, accroissant sa population de façon exponentielle. Sans jamais rencontrer d'intelligence non-humaine.
La Terre n'est plus maintenant qu'une lointaine et vague légende, un monde mythique perdu au milieu des nombreuses Préfectures de l'Empire Galactique. Cet Empire qui règne sur la Galaxie et ses vingt-cinq millions de planètes habitées, contrôlées depuis la planète-capitale, Trantor. Située au centre d'amas d'étoiles étincelantes, Trantor est la plus proche planète du noyau galactique, et aussi la plus peuplée avec quarante milliards d'habitants, dont l'Empereur.
L'Empire Galactique n'a jamais été aussi vaste et aussi puissant.
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la cartographie galactique
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la Fondation
Mais apparaît Hari Seldon, un jeune mathématicien fraîchement débarqué de sa planète. Il met au point une nouvelle science, appelée psycho-histoire, qui permet de prédire presque à coup sûr l'évolution de la société. Et quelle n'est pas sa surprise quand il comprend que, tout aussi puissant et soudé que soit l'Empire, c'est son déclin qui s'annonce d'ici cinq siècles. Un déclin inéluctable, qui sera suivi par trente mille ans de barbarie... jusqu'à un Renouveau, un nouvel Empire.
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Une seule solution : tout faire pour réduire ce nouveau Moyen-Age au trentième de sa durée initiale. Ainsi, avec de multiples précautions, détours et machinations, en lutte avec la noblesse qui, soit le conspue soit l'envie, Hari Seldon va mettre en place une Fondation sur la planète Terminus. A la vue de tous, elle aura pour but de créer une Encyclopedia Galactica regroupant toutes les connaissances de l'humanité. Et caché de tous, même de ses membres, elle aura pour but de sauver la Galaxie. Par sa simple existence.
Ainsi commençait l'histoire de la Première Fondation.
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Détail de « Fondation »
Isaac Asimov, Denoël, 1990
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« Nous devons envisager l'état présent de l'univers comme l'effet de son état antérieur et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »
Pierre Simon Laplace (1749-1827)
astronome et mathématicien français
texte présenté dans son introduction à sa théorie analytique des probabilités
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la psycho-histoire
Après voir lu le cycle de la Fondation, on a l'impression que « pouvoir prédire l'avenir » sera bientôt une réalité. Mais il faut se rappeler que la psycho-histoire n'est viable que s'il est possible de modéliser non seulement l'humanité, mais aussi tout l'espace, avec tout ce que cela implique.
Or, le nombre de paramètres à prendre en compte est faramineux et l'on en arriverait rapidement à un paradoxe : le modèle serait aussi complexe que l'univers lui-même. En se limitant même à une approche macroscopique, de façon plus concrète et plus proche, nous devrions être capables d'analyser la météorologie (les impacts sur les récoltes, les catastrophes naturelles...), l'évolution des ressources de chaque pays et du monde entier, l'évolution des connaissances scientifiques (il y a quelques décennies, qui aurait prévu l'essor d'internet ?)..., et surtout l'Homme.
En effet, bien qu'Asimov compare la psycho-histoire appliquée à l'humanité, comme une étude des mouvements browniens des particules de gaz dans l'espace, nous sommes autrement plus complexes que des atomes. Les humains ont une importance dans l'humanité, dans un groupe, ou même en tant que simple individu : les idées d'un homme, géniales —Newton— ou perverses —Hitler—, peuvent changer le monde, même si l'on peut arguer que s'ils n'avaient pas été là, d'autres les auraient remplacés à plus ou moins brève échéance. Dans l'oeuvre de l'écrivain, le Mulet lui-même ne vient-il pas montrer le manque de certitude dans les prédictions ?
D'où l'intérêt d'un pouvoir occulte chargé de rétablir les déviations éventuelles : une Seconde Fondation.
les règles
Si la psycho-histoire devient malgré tout réalité dans un très très lointain et hypothétique avenir, deux axiomes apparaissent inévitablement, bien mis en évidence par Isaac Asimov :
- la nécessité d'appliquer cette science sur un ensemble humain assez grand ; on peut certes se demander grand comment, mais il n'y a pas de limite absolue en dessous de laquelle la psychohistoire n'est plus applicable, simplement une graduation de la fiabilité en fonction du volume de personnes concernées ;
- les prédictions modifieraient le comportement de l'humanité si celle-ci en avait vent, d'où la nécessité de cacher ces prédictions à la masse de l'humanité (cacher le rôle de la Première Fondation, et pour les mêmes raisons, la Seconde Fondation aux yeux de la Première).
Avec deux corollaires que l'on retrouve dans plusieurs ouvrages de manière indirecte :
- la nécessite de faire continuellement évoluer les prédictions en fonction du nouvel environnement (rôle de la Seconde Fondation), sans quoi prédiction et réalité divergent de manière exponentielle ;
- une mise en exergue, dans le premier axiome, du terme humain : car, si ce terme est utilisé dès les années 40 par Asimov, ce n'est que dans les années 80 et les ouvrages de l'époque, que l'écrivain impose ce mot presque comme un troisième axiome. Car robots et extraterrestres sont peut-être là...
le cycle
Asimov a débuté ce cycle par un ensemble de nouvelles, écrites entre 1942 et 1953, et regroupées peu à peu en trois recueils, souvent assimilés à des romans, tellement les nouvelles se complètent, telles les chapitres d'une même oeuvre:
Fondation (1951)
Fondation et Empire (1952)
Seconde Fondation (1953)
Sous la pression de ses lecteurs, il reprendra le flambeau dans les années 80 avec deux romans qui complètent le cycle initial, et révèlent bien des choses (qui n'étaient pas prévues à l'origine) :
Fondation Foudroyée (1982)
Terre et Fondation (1986)
Mais, trouvant que la vie de Hari Seldon et la mise en place du Plan n'ont pas été suffisamment abordés dans ses premières oeuvres, Asimov décide d'écrire deux romans qui se placent avant Fondation.
Prélude à Fondation (1988)
L'Aube de Fondation (1993)
Même si le cycle de Fondation est un chef-d'oeuvre, il faut reconnaître qu'il se finit dans un style différent de celui de ses débuts. Les récits courts et extrêmement bien structurés de la trilogie initiale font place à une biographie de Hari Seldon, qui s'attache plus à la psychologie de l'individu qu'aux événements de l'Empire.
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Elle est bien sûr intéressante à lire car, pour qui a suivi tous les événements de Terminus et de Trantor, Seldon est un personnage de légende. Mais elle ne contribue que peu à l'histoire elle-même : l'élaboration de la psycho-histoire reste dans le flou, l'idée de deux fondations naît « miraculeusement » dans l'esprit de Yugo Amazyl, et les heureuses coïncidences, signe de faiblesse du récit, ne cessent de s'enchaîner, alors que dans les premiers ouvrages, Asimov menait son récit de main de maître, avec une logique et une intelligence redoutable.
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Hari Seldon
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C'est une des raisons pour lesquelles je recommande de lire ce cycle dans l'ordre de parution pour en goûter tout le plaisir, et mettre en évidence un changement de style et d'époque entre les trois premiers ouvrages et les suivants.
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après le bon docteur
Ce que Isaac Asimov n'a plus eu le temps d'écrire, d'autres s'en sont chargés. Il faut reconnaître que ces trois oeuvres sont bien écrites, agréables à lire
—les auteurs se sont déjà fait une réputation—, mais leurs qualités au sein de ce cycle sont inégales :
Fondation en péril de Gregory Benford (1997)
nous présente des sortes de fantômes de Jeanne d'Arc et de Voltaire qui ne me plaisent guère, alors que Hari Seldon vient récemment d'accéder à la fonction de Premier Ministre ;
Fondation et chaos de Greg Bear (1998)
est intéressant, probablement celui qui suit le mieux l'oeuvre initiale, dans un style proche du bon docteur et une ambiance très robotique, alors que le procès de Hari Seldon s'annonce ;
Le triomphe de Fondation de David Brin (1999)
est un incroyable mélange de références à de multiples romans et nouvelles d'Asimov, qui tente de donner une impression de cohésion à toute son oeuvre, ce qui est impossible même si nous en rêvons tous : bien écrit, mais ce mélange forcé est lourd, très lourd à digérer. L'oeuvre se déroule dans les dernières années de sa vie, alors que la Fondation s'érige.
Après la lecture de ces émules, je n'en aurai eu que plus de plaisir à relire la trilogie initiale.
Maintenant, tout ceci étant dit sur la psycho-histoire,
oublions l'analyse et gardons le rêve...
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